Localisation: France/Nouvelle-Aquitaine/Vienne
Site : Vieux-Poitiers - Site archéologique du Vieux-Poitiers
Province romaine: Lugdunensis
Peuple gaulois: Pictones
Support: menhir
Matériau: grès
Description du support: La pierre, de forme vaguement pyramidale, apparentée à un menhir en grès, s'élève à 260 cm au-dessus du sol ; l'importance de la partie enterrée n'est pas présentement déterminable ; la largeur est, à la base, de 165 cm, mais, en haut, de 45 cm ; son épaisseur maximale est de 70 cm, mais épaisseur au sommet : 15 cm. L'inscription figure au bas de sa face sud-est (et non de la face nord, comme l'écrivent certains auteurs). La pierre penche fortement vers le nord-ouest (comme le montre la photo de profil, RIG II.1 30 pp. 71). Logement anormalement bas de l'inscription (entre 40 cm à 73 cm au-dessus du sol), verticalité défectueuse : deux étrangetés qu'on a jamais pris la peine de signaler, et dont l'une ou l'autre (ou l'une et l'autre ?) résultent peut-être d'une manipulation du monument au XVIIIe siècle.
Remarques de Michel Lejeune :
L'inscription est portée par la face sud-est du menhir (ou du moins par la face ainsi orientée depuis 1786). Sans qu'on sache pourquoi, l'attribution à la face nord surgit en 1876 dans la notice du Dict. (54), et commence une carrière (Stokes 1886 , Lièvre 1890 , etc.) qui se poursuivra jusqu'à Whatmough 1970 inclusivement (bien que cet auteur affirme avoir examiné la pierre en août 1929).
État de conservation: Inscription endommagée.
Lieu de découverte: Naintré
Conditions de découverte: En plein champ à Naintré s'érige un monolithe en grès brut de coloration jaunâtre, criblé d'anfractuosités, et par endroits parasité par des lichens. Classé monument historique en 1892, mais continuant à appartenir au paysan propriétaire du champ, le menhir n'est pas à l'abri du vandalisme ; quand il ne s'agirait que des fréquents repassages (inexacts) des lettres à la peinture par des touristes en mal de photographies. Le plus ancien document connu signalant des vestiges antiques au Vieux-Poitiers (Bouchet 1524 1 6 ) ne fait état que de murailles en ruine et ne mentionne pas le menhir ; mais la pierre peut n'avoir été identifiée comme un monument de l'antiquité surtout si l'inscription en était alors masquée par la végétation environnante. Le premier ouvrage imprimé mentionnant le menhir est, en 1786, celui de Bourignon. Mais il existe aussi, pour le XVIIIe siècle des sources manuscrites antérieures. Et c'est par un historique de la tradition du monument qu'il convient de commencer.
Historique de conservation: Pierre demeurée in situ ; un moulage à Poitiers au Musée des Antiquaires de l'Ouest ; un autre à Saint-Germain-en-Laye, au Musée des Antiquités nationales (no *22.298).
Lieu de conservation: Vieux-Poitiers
Institution de conservation: Site archéologique du Vieux-Poitiers
Autopsie: Clichés réalisés par Maria José Estarán en 2016 et mis à disposition du projet RIIG en 2021.
Signalement:
Les manuscrits poitevins.
Sous la cote ms 546 (ancienne cote : liasse III), la Bibliothèque municipale de Poitiers conserve, constituée probablement à partir de 1791, une liasse hétérogène de papiers qui, en majorité, mais non tous, appartiennent au XVIIIe siècle et émanent des bénédictins de Saint-Cyprien (abbaye sise à la lisière sud de Poitiers). De ce recueil, la pièce 28 est une grande feuille sur laquelle on a collé deux feuillets, de papiers différents, de mains différentes et de dates sans doute différentes, que nous appellerons A et B. Haut de 10,5 cm, large de 15 cm, le feuillet A porte dix lignes d'une écriture très soignée, et de type assez inhabituel à cette époque, que la confrontation avec d'autres documents de Saint-Cyprien invite à attribuer à Dom Mazet (1743-1817). Au-dessous de la notice A, et perpendiculairement, est collé le feuillet B, large de 26,5 cm, et haut : à droite de 18 cm, à gauche, de 13 cm ; il est d'une autre écriture (non identifiée), et très maculé de taches d'encre ; il porte à gauche un dessin de l'inscription de Naintré, à droite un croquis de la silhouette de la pierre, accompagné de notes griffonnées relatives aux dimensions du monument. À et B ont été ainsi réunis, lors de la constitution de la liasse, parce que tous deux concernaient le menhir.
La notice A.
Une date en latin (correspondant au 5 sept. 1786) ; puis, après un blanc, six lignes entre guillemets (présentées donc, comme une citation) ; un nouveau blanc, puis trois lignes non guillemetées. Au-dessus de ce dernier texte, un additif de cinq mots, d'une écriture plus cursive.
Nonis Septembris, Anno MDCCLXXXVI.
« Cette Pierre, qui couvre des ossemens,
« Monument de la piété et de la force
« des Gaulois, consacrée à un Éternel Repos,
« ayant été renversée, M.M. Charles
« d'Appellevoisin, Marquis de la Roche-du-Maine
l'a relevée le 5.7bre.1786. »
qui seroit au vieux Poitiers
Cette Pierre a 16. pieds de haut, 4. pieds 8. Pouces de larg. dans sa base, et 1. pied 9. pouces dans sa plus forte épaisseur.
On observera :
- que l'auteur de la notice n'est sûrement pas un témoin oculaire, et que l'additif ne situe le monument qu'avec incertitude (« qui seroit... »), la notice se bornant à consigner une information reçue d'un tiers ;
- que la datation latine initiale traduit la date de l'événement consigné dans la notice (restauration du menhir) et n'est pas celle de l'information reçue par l'auteur ;
- que, de ladite information, l'auteur a retenu, et noté, deux éléments différents : un texte (cité entre guillemets) qui ne peut être autre chose, d'après sa formulation, que le libellé d'une plaque commémorative, et, ensuite, des indications annexes sur les dimensions maximales de la pierre : 16 pieds [env. 520 cm] en hauteur, 4 pieds 8 pouces [env. 150 cm] en largeur, 1 pied 9 pouces [env. 55 cm] en épaisseur.
La notice B.
Dessin et croquis sont d'une assez grande sûreté de main ; l'inscription est, là, plus fidèlement rendue qu'elle ne le sera généralement ensuite jusqu'au Second Empire. Rien ne permet de dater ce document sinon le fait qu'il est antérieur à la généralisation du système métrique ; il porte, griffonnées, les indications suivantes (commençant par cinq mots biffés, mais lisibles avec une lampe à ultraviolets) :
[avec ce qui]
[est enlevé] 14 pied
dont moitié hors de terre
5 pieds et demi dans
la plus grande largeur
au pied
Épaisseur 18 pouce
Soit, respectivement, env. 455 cm, 180 cm et 50 cm. B, à la différence de A, est un témoin oculaire. Son dessin montre le menhir en place : ou bien, donc, avant son éversion, ou bien (plutôt ?) après la restauration de 1786.
Début de la tradition.
Événement 1. Depuis bien longtemps, le menhir passe pour une pierre funéraire, l'inscription pour une épitaphe antique et les dimensions du monument font croire qu'il signale la sépulture d'un personnage important et opulent : un beau jour, à une date que nous ignorons, un chercheur d'antiquités part à la chasse au trésor et affouille profondément l'entour de la pierre, laquelle, finalement déchaussée, s'abat ; retenue toutefois par quelque obstacle, elle demeure un peu oblique au lieu de se coucher horizontalement, et il reste possible de se glisser sous la face cachée, qui se trouve être la face inscrite.
Événement 2. Intervention (vers 1785 ; en 1785 selon Lalanne) de l'érudit saintongeais François-Marie Bourguignon dit Bourignon. Explorant le site gallo-romain, il trouve, à une portée de mousquet de là, le menhir gisant sous un noyer dans l'état décrit ci-dessus ; il le mesure, le créditant de 12 pieds [env. 400 cm] de hauteur et 5 pieds 2 pouces [env. 215 cm] de largeur ; il se glisse sous la pierre pour prendre de l'inscription une copie qu'il dit « très-exacte » (et qui est bien loin de l'être).
Événement 3. En 1786, Bourignon édite à Cenon sa Bourignon 1786Dissertation (suivie d'une Bourignon 1786Lettre ). Dans cette brochure de 50 pages il en vient, Bourignon 1786Dissertation pp. 25, au menhir, et à son inscription dont il donne une copie (peu fidèle) en caractères d'imprimerie : c'est l'édition princeps. Suit (Bourignon 1786Dissertation pp. 25-28) un essai, sans valeur, de lecture du texte comme épitaphe latine truffée d'abréviations. [Avec nombre de variantes, de telles interprétations, que nous appellerons « à la Bourignon », auront cours durant plus de trois quarts de siècle.]
Événement 4. C'est probablement par l'opuscule de Bourignon (publié à Cenon) qu'est alerté, en son château du Fou (à 5 km au Sud du menhir, sur le territoire de Vouneuil), le marquis Charles d'Appellevoisin (ou Appelvoisin). Sans tarder (dès le 5 septembre 1786), outré de l'impiété envers les morts dont s'est rendu coupable le fouilleur inconnu, il fait redresser le menhir, consignant cet acte de réparation sur une plaque commémorative (depuis, disparue). Il est évident que le menhir a été relevé sur place ; mais rien ne garantit que soient, désormais, rigoureusement conformes à ce qu'ils étaient à l'origine l'aplomb de la pierre, son niveau d'enterrement, et l'orientation de sa face inscrite.
Événement 5. D'une correspondance (que nous n'avons pas) adressée à Saint-Cyprien, des extraits sont consignés, par Dom Mazet, dans la notice manuscrite A (voir RIG II.1 32 pp. 74).
Événement 6 (?). De classement incertain dans cette série chronologique est l'excellent dessin du menhir et de son inscription, constituant la notice B ci-dessus RIG II.1 33 pp. 75. La pierre y apparaît dressée.
Événement 7 . Parution à Paris, datée de l'an X (1801/1802), d'une brochure de 95 pages. Il y est question (Cochon 1801-1802 pp. 20-21) des pierres levées, entre autres de celle qui est à une portée de fusil des ruines du Vieux-Poitiers, haute de 3,89 m, large au plus de 1,62 m. De l'inscription, dont l'opuscule donne (en lettres d'imprimerie) une copie infidèle, il est dit qu'elle a embarrassé des membres de l'Académie des Inscriptions consultés à son sujet.
Événement 8. Parution à Paris, datée de l'an XII (1803/1804), d'un ouvrage de 253 pages et 12 planches h.-t. dû à E.-M. Siauve. Un long développement (Siauve 1803-1804 pp. 110-129) est consacré au menhir : pierre brute de forme pyramidale haute de 3,9 m, large à la base de 1,679 m (mais de 45 cm seulement au sommet), épaisse à la base de 60 cm (mais de 8 cm seulement au sommet). Aux copies de Bourignon et de Cochon, Siauve oppose la sienne (Siauve 1803-1804 pp. 114), qui est meilleure, mais fautive encore. À l'interprétation de Bourignon, il n'oppose pas moins de trois autres, de son cru (mais toutes trois « à la Bourignon »). La planche h.-t. no 8 (gravure) est, sous forme imprimée, l'illustration princeps du menhir (mais le dessin B lui est antérieur).
Telles sont les vingt premières années d'existence archéologique et philologique de la dédicace de Naintré. On s'étonnera peu des divagations herméneutiques (à cette date, pour du gaulois, quasi fatales) ou des mélectures d'une inscription qui, par endroits, est d'un déchiffrement ingrat. On s'étonnera, à première vue, davantage des écarts entre les mensurations fournies par les divers auteurs :
- Bourignon : 215 cm de large × 400 cm de haut ;
- A : 150 cm de large × 520 cm de haut × 55 cm d'épaisseur ;
- B : 180 cm de large × 455 cm de haut × 50 cm d'épaisseur ;
- Cochon : 160 cm de large × 390 cm de haut ;
- Siauve : 165 cm de large × 390 cm de haut × 60 cm d'épaisseur.
Bibliographie après .
Nombre très considérable de mentions du menhir ; notamment dans des ouvrages d'histoire locale (ainsi abbé Lalanne, Lalanne 1859 pp. 73-76 ; etc.) ou d'épigraphie locale (ainsi A. Le Touzé de Longuemar, Longuemar 1863 27 pp. 155 ; etc.) et dans des périodiques locaux (MSAO, BSAO, BFLP, etc.), un des plus récents articles étant celui de Fr. Trouillet, Trouillet 1983 pp. 307-321.
C'est seulement dans les années 1853-1855 (voir Longuemar 1853-1855 pp. 303-306, 333-335) que les érudits poitevins, Cardin d'abord, semble-t-il, puis Longuemar et l'abbé Auber, reconnaissent le texte pour celtique, et voient dans ieuru (désormais connu par d'autres inscriptions) un verbe de dédicace.
Description de l'inscription: L'inscription est gravée. Vers le bas de la face sud-est, donc, a été délimité et, autant qu'il se pouvait, aplani un champ rectangulaire de 97 cm de haut × 33 cm de large, où le texte se distribue sur trois lignes.
Description de l'écriture: Lettres capitales de 10 cm à 11 cm aux lignes 1-2, de 9 cm à 10 cm à la l.3 (mais dernier o de la l.2 de 5 cm seulement, à cause de la ligature dans laquelle il est pris).
Remarques de Michel Lejeune :
Deux mots à la l.1, séparés par un large blanc (
18
cm) qui a permis au lapicide d'éviter une profonde cavité ronde de la pierre ; deux mots à la l.2, séparés, à mi-hauteur des lettres, par un point circulaire parfaitement régulier de
15
mm de diamètre qui n'est sûrement pas l'effet d'un accident. À la l.3, restait à caser un mot court (cinq lettres), que le lapicide a choisi de loger à droite (en en alignant la fin sur le bord droit du champ) ; sur le tâtonnement qui en est résulté pour l'attaque de la première lettre, voir plus bas ; dans la partie gauche, demeurée vierge, de la l.3, Whatmough a, sans aucun fondement, supposé que dix à douze lettres avaient disparu corps et biens.
L'écriture (qui a E pour e, F pour f) est malhabile ; le lapicide use volontiers de ligatures.
L.1, rati͡n : ligature par confusion de i avec la branche gauche de n, mais hauteur accrue de celle-ci.
L.1, briu͡atiom : ligature ua (traits droit de u et gauche de a confondus) ; ce qui traverse horizontalement o à mi-hauteur n'est pas, comme l'ont cru certains éditeurs, un trait volontaire (procurant une sorte de θ), mais une fissure de la surface (qui dépasse o des deux côtés) ; le m final est indubitable, et ne peut se lire comme une ligature n͡i (si ligature il y avait eu, le résultat serait une image inversée de la fin du mot rati͡n).
L.2, fron͡tu : confusion de la haste verticale de t avec la branche droite de n, mais barrette horizontale surmontant cette dernière.
Le second mot de la l.2, est de tracé malaisé à déchiffrer, et a été lu d'une douzaine, au moins, de façons différentes ; ces divergences, au reste, ne concernant que le détail d'un anthroponyme, sont sans impact sur l'interprétation du texte. Pour nous (qui, en Lejeune 1980a , ne faisions que citer le tarbelsonios de Dottin), l'examen de la pierre nous a convié à lire soit tarbetis[o]ni͡os, soit (comme indiqué en Lejeune 1982a ) tarbetis[c͡o]ni͡os.
Avant le s final, ligature : petit i juché au sommet d'un petit o ; donc ...ni͡os. Avant n, une considérable dépression de la pierre, où le lapicide a logé, en en utilisant les arrondis, soit un o, soit un grand c incluant en ligature un petit o (ce dernier figuré en tireté sur le dessin RIG II.1 34 pp. 79), sans que l'état présent de la pierre permette de choisir. Noter, en tout cas, que la mise à profit de la portion inférieure courbe de la cavité pour ce o ou ce c a provoqué une rupture d'alignement, la fin du mot étant écrite plus bas que le début. La difficulté principale concerne la portion centrale du mot. On y a, notamment, lu ...bets... avec un e insolite de forme E (comme celui qu'on croyait voir, à tort aussi, à la l.3) ; mais le crochet inférieur du t supposé n'existe pas (il s'agit d'une fissure oblique de la surface, descendant jusqu'au premier u de ieuru) ; et c'était, d'autre part, négliger une incontestable barrette horizontale sise au-dessous du pied droit du a de brivatiom mais ne lui appartenant pas. Solution proposée (compte tenu du souci du lapicide de resserrer l'écriture pour achever le patronyme dans l'espace restant) : ... betis ..., avec un E normal serré contre le t qui suit, et avec un i serré contre le t, et dont la barrette du t vient toucher le sommet.
L.3, ie{i}uru : ici encore, E pour e n'est qu'un fantôme ; il s'est passé probablement ceci : le lapicide décide d'aligner à droite le dernier mot et, au jugé, trace son i initial ; il s'aperçoit alors qu'en respectant le format de lettres qu'il a adopté, il n'aura pas la place de loger euru entre le i qu'il vient de graver et le bord du champ ; il décide de décaler le mot vers la gauche ; il écrit ie (le E venant buter contre le faux trait qu'il n'a pas fait disparaître), puis, par-delà ce faux trait, uru.
L'écriture (qui a E pour e, F pour f) est malhabile ; le lapicide use volontiers de ligatures.
L.1, rati͡n : ligature par confusion de i avec la branche gauche de n, mais hauteur accrue de celle-ci.
L.1, briu͡atiom : ligature ua (traits droit de u et gauche de a confondus) ; ce qui traverse horizontalement o à mi-hauteur n'est pas, comme l'ont cru certains éditeurs, un trait volontaire (procurant une sorte de θ), mais une fissure de la surface (qui dépasse o des deux côtés) ; le m final est indubitable, et ne peut se lire comme une ligature n͡i (si ligature il y avait eu, le résultat serait une image inversée de la fin du mot rati͡n).
L.2, fron͡tu : confusion de la haste verticale de t avec la branche droite de n, mais barrette horizontale surmontant cette dernière.
Le second mot de la l.2, est de tracé malaisé à déchiffrer, et a été lu d'une douzaine, au moins, de façons différentes ; ces divergences, au reste, ne concernant que le détail d'un anthroponyme, sont sans impact sur l'interprétation du texte. Pour nous (qui, en Lejeune 1980a , ne faisions que citer le tarbelsonios de Dottin), l'examen de la pierre nous a convié à lire soit tarbetis[o]ni͡os, soit (comme indiqué en Lejeune 1982a ) tarbetis[c͡o]ni͡os.
Avant le s final, ligature : petit i juché au sommet d'un petit o ; donc ...ni͡os. Avant n, une considérable dépression de la pierre, où le lapicide a logé, en en utilisant les arrondis, soit un o, soit un grand c incluant en ligature un petit o (ce dernier figuré en tireté sur le dessin RIG II.1 34 pp. 79), sans que l'état présent de la pierre permette de choisir. Noter, en tout cas, que la mise à profit de la portion inférieure courbe de la cavité pour ce o ou ce c a provoqué une rupture d'alignement, la fin du mot étant écrite plus bas que le début. La difficulté principale concerne la portion centrale du mot. On y a, notamment, lu ...bets... avec un e insolite de forme E (comme celui qu'on croyait voir, à tort aussi, à la l.3) ; mais le crochet inférieur du t supposé n'existe pas (il s'agit d'une fissure oblique de la surface, descendant jusqu'au premier u de ieuru) ; et c'était, d'autre part, négliger une incontestable barrette horizontale sise au-dessous du pied droit du a de brivatiom mais ne lui appartenant pas. Solution proposée (compte tenu du souci du lapicide de resserrer l'écriture pour achever le patronyme dans l'espace restant) : ... betis ..., avec un E normal serré contre le t qui suit, et avec un i serré contre le t, et dont la barrette du t vient toucher le sommet.
L.3, ie{i}uru : ici encore, E pour e n'est qu'un fantôme ; il s'est passé probablement ceci : le lapicide décide d'aligner à droite le dernier mot et, au jugé, trace son i initial ; il s'aperçoit alors qu'en respectant le format de lettres qu'il a adopté, il n'aura pas la place de loger euru entre le i qu'il vient de graver et le bord du champ ; il décide de décaler le mot vers la gauche ; il écrit ie (le E venant buter contre le faux trait qu'il n'a pas fait disparaître), puis, par-delà ce faux trait, uru.
Type de texte: Inscription religieuse / cultuelle
Datation du texte: dernier quart du Ier siècle/première moitié du IIe siècle
Justificatif de datation: contexte. Datation incertaine.
Niveau de certitude: ◉◉◉
Remarques de Michel Lejeune :
Document que rien ne permet de dater vraiment. Compte tenu de la période d'activité la plus grande du vicus, compte tenu aussi de l'écriture, attribuer le texte à la fin du Ier siècle ou à la première moitié du IIe siècle serait faire un pari non absurde, mais rien de plus. Peut-être faut-il en outre prendre en compte un fait nouveau ; c'est aux alentours des années 100 que, dans la rédaction d'un document magique en pays rutène (voir ( ), interviennent deux imprécants, dont l'un use de -n en fin de mot (comme on l'attend) mais l'autre de -m ; le fait qu'on ait à Naintré (mais cette fois chez un même scripteur) flottement entre -n (ratin) et -m (briuatiom) pourrait être un reflet des mêmes circonstances linguistiques, et le document picton aurait chance, alors, d'être grossièrement contemporain du document rutène.
Le menhir ne peut être qu'un monument préceltique, réutilisé à date gallo-romaine comme support d'une inscription.
Le menhir ne peut être qu'un monument préceltique, réutilisé à date gallo-romaine comme support d'une inscription.
Édition corpus: RIG II.1 p. 69-82 ; RIG II.1 p. 71-79 fig. 30-34 .
Commentaire bibliographique: Bouchet 1524 ; Bourignon 1786 ; Cochon 1801-1802 ; Siauve 1803-1804 ; Stokes 1840 p. 392 ; Longuemar 1853-1855 ; Becker 1858 p. 291 ; Lalanne 1859 ; Pictet 1859 p. 13 (7) ; Pictet 1859 p. 48-50 ; Monin 1861 p. 95-97 ; Stokes 1861 p. 100 ; Becker 1863 p. 166 (9) ; Longuemar 1863 ; Pictet 1867c p. 393 ; Roget de Belloguet 1872 p. 198 ; Dict. (54) (3) ; p. 43 (14) ; Stokes 1886 p. 129 (14) ; Ledaim 1887 IX p. 144-147 ; CIL XIII-I (1171) ; Espérandieu 1888 p. 107-119 ; Espérandieu 1888 p. 114-115 ; Ernault 1890 p. 112-126 ; Lièvre 1890 ; (1518) ; Ernault 1905 p. 368-373 ; Rhŷs 1906 p. 316 (XXVI) ; Dottin 1918 p. 169 (51) ; Jullian 1921 p. 335 ; Lejeune 1957a ; Holder 1962 ; Evans 1967 p. 473 ; Whatmough 1970 p. 394 (152) ; Lejeune 1971a ; Dom Mazet 1971 ; Lambert 1979 ; Lejeune 1980a ; Lejeune 1982a p. 561 ; Trouillet 1983 ; Lejeune 1985c ; ; Schmidt 1986 ; Dupraz et Estarán 2017.
Texte
01 RAT⁽IN⁾BRI⁽VA⁾TIOM 02 FRO⁽NT⁾V▴TARBETIS[ . ]⁽IO⁾S 03 IEIVRV |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbetis[o]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
01 RAT⁽IN⁾BRI⁽VA⁾TIOM 02 FRO⁽NT⁾V▴TARBETIS[ . ]⁽IO⁾S 03 IEIVRV |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbetis[⁽co⁾]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
01 RAT⁽IN⁾BRI⁽VA⁾TIOM 02 FRO⁽NT⁾V▴TARBEIS[ . ]⁽IO⁾S 03 IEIVRV |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbeis[o]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbetis[o]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
substantif accusatif fém. sg. thème en -i adjectif (ethnique) génitif pl. masc. thème en -i idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique patronyme nominatif masc. sg. thème en -o verbe prétérit 3e pers. sg. |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbetis[⁽co⁾]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
substantif accusatif fém. sg. thème en -i adjectif (ethnique) génitif pl. masc. thème en -i idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique patronyme nominatif masc. sg. thème en -o verbe prétérit 3e pers. sg. |
01 ratin bri⁽va⁾tiom 02 frontu tarbeis[o]n⁽io⁾s 03 ie{i}uru |
substantif accusatif fém. sg. thème en -i adjectif (ethnique) génitif pl. masc. thème en -i idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique patronyme nominatif masc. sg. thème en -o verbe prétérit 3e pers. sg. |
Traduction:
de Michel Lejeune : MLE-a MLE-b
Frontu, fils de Tarbetis..., a offert le ratin des habitants de Briua.
de ΕDZ et María José Estarán : MLE-a
Frontu, fils de Tarbetisu, a offert la limite (rituelle) des habitants de Briua.
de Pierre-Yves Lambert : PLT-a
Frontu, fils de Tarbeisū, a offert le ratis (rempart ou gué ?) des habitants de Briua.
Apparat critique:
Remarques de Michel Lejeune : MLE-a MLE-b
Dédicace du type ieuru.
Sur les douze dédicaces gauloises connues usant du prétérit 1re sg. ieuri, 3e sg. ειωρου/ ieuri, 3e pl. ieuru(s)/iourus, neuf sont des lapidaires gallo-latines, les trois autres étant la lapidaire gallo-grecque VAU-13-01 (ειωρου), et deux objets inscrits gallo-latins (patère de Couchey, ieuru ; terrine de Lezoux, ieuri).
Ce formulaire a été étudié d'ensemble, en 1980, dans Lejeune 1980a ; à cet article, Lejeune a apporté depuis lors quelques retouches : en SEL-02-01, verbe entendu comme ieuru(s), au pluriel ; en *PDD-01-01, verbe suivi d'un accusatif plutôt que d'un datif.
Sur la désinence -i de 1re sg. (issue de *-ai), voir Lejeune 1976d et RIG I pp. 451. Sur la 3e pl. en ...u-s (avec -s pluralisant), voir Lejeune 1957a et Lejeune 1971a 16. L'analyse de ieuru a fait l'objet d'hypothèses diverses (récemment, Lambert 1979 pp. 207-213 ; cf. Schmidt 1986 pp. 176) et demeure discutée.
Ici, formule : objet + sujet + verbe, avec un ordre inhabituel (sujet initial et objet final en VAU-13-01, *CRE-01-01, CDO-04-01, SEL-02-01, *CDO-02-01, CDO-01-19).
Dédicant désigné par : idionyme + adjectif patronymique en -ios. Il porte un nom de stock romain (cognomen Frontō, avec -ō ici celtisé en -ū) ; mais son père portait encore un nom certainement indigène (bien que la souche Tarbo- soit à peu près dépourvue de témoins, sauf un Tarbū en CIL III (2053)) ; séquence onomastique qui va donc (comme Martialis Dannotali CDO-01-19, etc.) dans le sens de la romanisation. Souche Tarbo- doublement suffixée en -et(o)- (Holder 1962 I (1480)) puis en -iso- (Holder 1962 II (79)) ou -iseo- (Holder 1962 II (78)) ; par surcroît, suffixe à nasale, d'où patronyme en -onios.
Le second mot du texte doit définir le(s) bénéficiaire(s) de la dédicace, soit au datif, soit au génitif (alors, déterminant ratin). Mais on a toujours ou méconnu ou mal résolu la difficulté inhérente à la finale -om. Ou bien on a voulu lire -on͡i avec ligature, et recourir ainsi au datif d'un dieu **Brīvatiō (ou d'une déesse **Brīvationā) ; mais une telle lecture est sans vraisemblance épigraphique. Ou bien on a reconnu un génitif pluriel, dont la finale -om (au lieu du -on attendu) serait due à une action de sandhi (action de l'initiale labiodentale f- du mot suivant), hypothèse qui encourt une objection générale (absence de notations de sandhi dans nos dédicaces et épitaphes gauloises) et une objection particulière (à plus forte raison, alors, attendrait-on **ratim). Alléguer simplement (comme Ernault) un latinisme (ce qui, en définitive, doit être juste) demeurait, faute de tout autre exemple, très hasardeux. Ou bien encore, on a (gratuitement, car c'est contraire aux usages de nos lapicides gaulois) imaginé là l'abréviation de quelque **Brīvatiom(agus), à entendre ici au génitif ; mais un toponyme « champ du pont » eût dû être **Brīvomagus (cf. Brīvoduron « citadelle du pont », nom ancien de Briare), et « champ des gens du pont » (avec un ethnique Brīvatio- en premier terme) est bien peu plausible.
On en était là lorsque la découverte du plomb du Larzac a révélé l'existence en gaulois, vers l'an 100, de flottements entre -n et -m en fin de mot (Lejeune 1985c ). Dès lors est confortée l'hypothèse d'Ernault, et légitimé Brīvatiom comme gén. pl. de *Brīvatis « habitant de *Brīva » (sur le suffixe, cf. Holder 1962 I (264)), *Brīva, « Pont(-sur-Clain) » étant le nom de notre vicus. Ainsi se trouve aujourd'hui hors de doute l'identification de l'ethnique, dès 1861 proposée par Monin.
Non élucidé demeure ratin : accusatif (ou accusatif adverbialisé selon Monin) de ce qu'on a toujours pensé être un nom en -ti-, mais qui, on le sait maintenant, pourrait être aussi bien un nom en -tā-, puisque, vers l'an 100, l'acc. sg. de Ire déclinaison est en -in/ -im (Lejeune 1985c ). Toutes les hypothèses jusqu'ici avancées résultent de devinettes étymologiques.
Si ratin est objet de ieuru, il est très peu probable qu'il soit un nom de l'acte de consécration lui-même (« action de grâce », etc.; cf. v. irl. rath), car on attendrait alors le nom des Brivates au datif bien plutôt qu'au génitif possessif. C'est alors l'objet dédié que devrait, concrètement, désigner ratin ; on ne peut croire qu'il s'agisse du menhir lui-même, qui était déjà planté là bien avant qu'existât le vicus ; il doit donc s'agir de quelque structure cultuelle ou édilitaire voisine du menhir, le support d'inscription fourni par la pierre levée ayant paru propice à cause de ce voisinage même ; mais ne paraissent convenir archéologiquement ni la référence à un nom du « passage » ( *pṝ-ti-, de la racine de gr. περάω, etc. : IEWIEW pp. 816), car le pont dont on a retrouvé des substructures au quartier des Berthons est distant de plus de 500 m, ni la référence à un nom de la « levée de terre » (v. irl. ráith), car on n'a aucune trace au Vieux-Poitiers d'une quelconque fortification, souci d'ailleurs non plausible à l'époque où florit le vicus. Rien, dans ce qu'on a tenté, qui s'impose.
Ingénieusement, Monin, en 1861, a suggéré une autre solution. Il se réfère bien à v. irl. rath (qui signifie « χάρις ») mais pour faire de ratin une quasi-préposition issue d'un accusatif figé de ce nom, et régissant le génitif : ratin brivatiom signifierait : « χάρις B...ίων », « au nom ou en l'honneur des Brivates » : proposition qui échappe à démonstration comme à réfutation. [Noter, accessoirement, que l'ordre des termes de l'énoncé redeviendrait normal, du type sujet + verbe comme en NIE-01-01, puisque les deux premiers mots appartiendraient au groupe sujet : « F.T., agissant pour les B., ... »]
Un mot, enfin, de l'idée (Ernault 1905 ) que le texte serait métrique (et l'ordre des mots donc, ajoutera-t-on, non pertinent). À supposer que a soit long dans ratin, il lit : ratin | brivati|om fron|tu tar|b... |ieuru comme un hexamètre approximatif, le patronyme seul (quelque lecture, d'ailleurs, qu'on en fasse) formant verrue (mais dédicaces ou épitaphes en vers de l'épigraphie grecque, par exemple, ne souffrent-elles pas, plus d'une fois, d'irrégularités dues à des noms propres amétriques ?).
Ernault avance cette suggestion comme un indice, au même titre que la finale -om, de la romanisation. Mais, si -om est un romanisme involontaire, l'usage de l'hexamètre serait un romanisme délibéré. Croira-t-on que, dans le temps même où des Gaulois persistent, à contre-courant de la romanisation, à maintenir l'usage écrit de leur langue propre, ils veuillent la plier, sans nécessité, aux contraintes d'une métrique étrangère ?
Sur les douze dédicaces gauloises connues usant du prétérit 1re sg. ieuri, 3e sg. ειωρου/ ieuri, 3e pl. ieuru(s)/iourus, neuf sont des lapidaires gallo-latines, les trois autres étant la lapidaire gallo-grecque VAU-13-01 (ειωρου), et deux objets inscrits gallo-latins (patère de Couchey, ieuru ; terrine de Lezoux, ieuri).
Ce formulaire a été étudié d'ensemble, en 1980, dans Lejeune 1980a ; à cet article, Lejeune a apporté depuis lors quelques retouches : en SEL-02-01, verbe entendu comme ieuru(s), au pluriel ; en *PDD-01-01, verbe suivi d'un accusatif plutôt que d'un datif.
Sur la désinence -i de 1re sg. (issue de *-ai), voir Lejeune 1976d et RIG I pp. 451. Sur la 3e pl. en ...u-s (avec -s pluralisant), voir Lejeune 1957a et Lejeune 1971a 16. L'analyse de ieuru a fait l'objet d'hypothèses diverses (récemment, Lambert 1979 pp. 207-213 ; cf. Schmidt 1986 pp. 176) et demeure discutée.
Ici, formule : objet + sujet + verbe, avec un ordre inhabituel (sujet initial et objet final en VAU-13-01, *CRE-01-01, CDO-04-01, SEL-02-01, *CDO-02-01, CDO-01-19).
Dédicant désigné par : idionyme + adjectif patronymique en -ios. Il porte un nom de stock romain (cognomen Frontō, avec -ō ici celtisé en -ū) ; mais son père portait encore un nom certainement indigène (bien que la souche Tarbo- soit à peu près dépourvue de témoins, sauf un Tarbū en CIL III (2053)) ; séquence onomastique qui va donc (comme Martialis Dannotali CDO-01-19, etc.) dans le sens de la romanisation. Souche Tarbo- doublement suffixée en -et(o)- (Holder 1962 I (1480)) puis en -iso- (Holder 1962 II (79)) ou -iseo- (Holder 1962 II (78)) ; par surcroît, suffixe à nasale, d'où patronyme en -onios.
Le second mot du texte doit définir le(s) bénéficiaire(s) de la dédicace, soit au datif, soit au génitif (alors, déterminant ratin). Mais on a toujours ou méconnu ou mal résolu la difficulté inhérente à la finale -om. Ou bien on a voulu lire -on͡i avec ligature, et recourir ainsi au datif d'un dieu **Brīvatiō (ou d'une déesse **Brīvationā) ; mais une telle lecture est sans vraisemblance épigraphique. Ou bien on a reconnu un génitif pluriel, dont la finale -om (au lieu du -on attendu) serait due à une action de sandhi (action de l'initiale labiodentale f- du mot suivant), hypothèse qui encourt une objection générale (absence de notations de sandhi dans nos dédicaces et épitaphes gauloises) et une objection particulière (à plus forte raison, alors, attendrait-on **ratim). Alléguer simplement (comme Ernault) un latinisme (ce qui, en définitive, doit être juste) demeurait, faute de tout autre exemple, très hasardeux. Ou bien encore, on a (gratuitement, car c'est contraire aux usages de nos lapicides gaulois) imaginé là l'abréviation de quelque **Brīvatiom(agus), à entendre ici au génitif ; mais un toponyme « champ du pont » eût dû être **Brīvomagus (cf. Brīvoduron « citadelle du pont », nom ancien de Briare), et « champ des gens du pont » (avec un ethnique Brīvatio- en premier terme) est bien peu plausible.
On en était là lorsque la découverte du plomb du Larzac a révélé l'existence en gaulois, vers l'an 100, de flottements entre -n et -m en fin de mot (Lejeune 1985c ). Dès lors est confortée l'hypothèse d'Ernault, et légitimé Brīvatiom comme gén. pl. de *Brīvatis « habitant de *Brīva » (sur le suffixe, cf. Holder 1962 I (264)), *Brīva, « Pont(-sur-Clain) » étant le nom de notre vicus. Ainsi se trouve aujourd'hui hors de doute l'identification de l'ethnique, dès 1861 proposée par Monin.
Non élucidé demeure ratin : accusatif (ou accusatif adverbialisé selon Monin) de ce qu'on a toujours pensé être un nom en -ti-, mais qui, on le sait maintenant, pourrait être aussi bien un nom en -tā-, puisque, vers l'an 100, l'acc. sg. de Ire déclinaison est en -in/ -im (Lejeune 1985c ). Toutes les hypothèses jusqu'ici avancées résultent de devinettes étymologiques.
Si ratin est objet de ieuru, il est très peu probable qu'il soit un nom de l'acte de consécration lui-même (« action de grâce », etc.; cf. v. irl. rath), car on attendrait alors le nom des Brivates au datif bien plutôt qu'au génitif possessif. C'est alors l'objet dédié que devrait, concrètement, désigner ratin ; on ne peut croire qu'il s'agisse du menhir lui-même, qui était déjà planté là bien avant qu'existât le vicus ; il doit donc s'agir de quelque structure cultuelle ou édilitaire voisine du menhir, le support d'inscription fourni par la pierre levée ayant paru propice à cause de ce voisinage même ; mais ne paraissent convenir archéologiquement ni la référence à un nom du « passage » ( *pṝ-ti-, de la racine de gr. περάω, etc. : IEWIEW pp. 816), car le pont dont on a retrouvé des substructures au quartier des Berthons est distant de plus de 500 m, ni la référence à un nom de la « levée de terre » (v. irl. ráith), car on n'a aucune trace au Vieux-Poitiers d'une quelconque fortification, souci d'ailleurs non plausible à l'époque où florit le vicus. Rien, dans ce qu'on a tenté, qui s'impose.
Ingénieusement, Monin, en 1861, a suggéré une autre solution. Il se réfère bien à v. irl. rath (qui signifie « χάρις ») mais pour faire de ratin une quasi-préposition issue d'un accusatif figé de ce nom, et régissant le génitif : ratin brivatiom signifierait : « χάρις B...ίων », « au nom ou en l'honneur des Brivates » : proposition qui échappe à démonstration comme à réfutation. [Noter, accessoirement, que l'ordre des termes de l'énoncé redeviendrait normal, du type sujet + verbe comme en NIE-01-01, puisque les deux premiers mots appartiendraient au groupe sujet : « F.T., agissant pour les B., ... »]
Un mot, enfin, de l'idée (Ernault 1905 ) que le texte serait métrique (et l'ordre des mots donc, ajoutera-t-on, non pertinent). À supposer que a soit long dans ratin, il lit : ratin | brivati|om fron|tu tar|b... |ieuru comme un hexamètre approximatif, le patronyme seul (quelque lecture, d'ailleurs, qu'on en fasse) formant verrue (mais dédicaces ou épitaphes en vers de l'épigraphie grecque, par exemple, ne souffrent-elles pas, plus d'une fois, d'irrégularités dues à des noms propres amétriques ?).
Ernault avance cette suggestion comme un indice, au même titre que la finale -om, de la romanisation. Mais, si -om est un romanisme involontaire, l'usage de l'hexamètre serait un romanisme délibéré. Croira-t-on que, dans le temps même où des Gaulois persistent, à contre-courant de la romanisation, à maintenir l'usage écrit de leur langue propre, ils veuillent la plier, sans nécessité, aux contraintes d'une métrique étrangère ?
Commentaires:
Remarques de ΕDZ et María José Estarán :
Dupraz et Estarán (Dupraz et Estarán 2017 ) proposent une nouvelle traduction de ratin (lexème également présent dans l’inscription MEU-01-01 sous la forme ratii), qui implique une nouvelle interprétation de la fonction de l’inscription. Dans VIE-01-01, la traduction qui a pu être proposée de ratin par « pont » pose la difficulté suivante : le toponyme *Briua (ou *Briuati) étant lui-même lié au substantif gaulois pour « pont » *brīwā et l’agglomération devant de fait son nom à un probable « pont » sur la rivière, on voit mal pourquoi, dans l’inscription, celui-ci serait mentionné par un lexème alternatif. De même, la traduction par « gué » est difficile pour des raisons archéologiques : de tels passages sur la rivière sont en effet documentés, mais à plusieurs centaines de mètres du lieu de découverte de l’inscription, comme le notait déjà Lejeune.
Dupraz et Estarán acceptent pour ratin l’explication étymologique de Delamarre (Delamarre 2018 pp. 254), selon qui le lexème signifierait « levée de terre, muraille » (cf. v. irl. ráith, « levée de terre, motte, fort »), mais le site ne connaissant pas de fortification ou de murailles, ils proposent de comprendre ici « levée de terre » comme « limite de la ville », dans un sens proche du latin pomoerium. Dans VIE-01-01 comme dans MEU-01-01 il s’agirait d’un exemple de l’implication de notables (Frontu Tarbetis+nios et Bratulos) dans des opérations de planification urbaine, ce qui n’est pas sans exemple par ailleurs. Cette implication serait représentée par la donation rituelle (d’où le verbe ieuru) par ces notables des limites de la ville, acte de fondation dans l’intérêt de leurs communautés respectives (*Briua et Nasium).
Commentaire sociolinguistique:
Remarques de Michel Lejeune : MLE-a
Le menhir ne peut être qu'un monument préceltique, réutilisé à date gallo-romaine comme support d'une inscription. Mais a-t-il, et comment, été intégré à l'urbanisme du vicus, et le texte nous donne-t-il quelque information sur ce vicus (en sus de l'ethnique brivatiom)? Les réponses sont incertaines. Sur le voisinage du menhir (voir plan : RIG II.1 29 pp. 70 ; on ne sait si le menhir avait été, de quelque façon, mis en rapport avec le fanum qui le jouxte à l'Ouest.
Remarques de María José Estarán :
- Genre épigraphique : évergétique.
- Dédicace des limites de la ville de la part d'un individu avec un nom gaulois bimembre.
- Réutilisation d'un monument plus ancien.
Remarques de Alex Mullen :
- IEVRV example, see Lambert 1979 , Lejeune 1980a , Estarán 2021 .
- For RATIN, see Dupraz et Estarán 2017 .
- Latin idionym, Fronto, with Gaulish patronymic adjective in -ios.
Remarques de ΕDZ et María José Estarán :
Les inscriptions VIE-01-01 et MEU-01-01 commémorent vraisemblablement la fondation même, à époque augustéenne, des deux villes, dont les sites sont occupés de façon plus légère et moins structurée auparavant. Les données archéologiques, qui montrent que, sur les deux sites, l’urbanisation commence en effet à l’époque augustéenne, coïncident avec ces inscriptions relatives à des rituels de fondation.
Photos
Menhir du Vieux-Poitiers in situ | Menhir du Vieux-Poitiers (occlusion) | RIG II.1, fig. 34 : L'inscription L-3 de Naintré (dessin) | Menhir du Vieux-Poitiers (relief) |
Bibliographie du RIG: Cochon 1801-1802 ; Siauve 1803-1804 ; Stokes 1840 ; Longuemar 1853-1855 ; Becker 1858 ; Lalanne 1859 ; Stokes 1861 ; Longuemar 1863 ; Pictet 1867a ; Roget de Belloguet 1872 ; Stokes 1886 ; Ledaim 1887 ; Espérandieu 1888 ; Ernault 1890 ; Dottin 1918 ; Holder 1962 ; Whatmough 1970 ; Lejeune 1976d ; Lambert 1979 ; Lejeune 1980a ; Trouillet 1983 ; Lejeune et al. 1985b ;
Bibliographie du RIIG: Longuemar 1864 ; Lambert 1979 ; Lejeune 1980a ; Grandjean et Ollivier 1991 ; Dupraz et Estarán 2017 ; Estarán 2021.
Linked Data:
- Dernier quart du Ier siècle/première moitié du IIe siècle : http://n2t.net/ark:/99152/p09hq4ncc3f
- Dernier quart du Ier siècle/première moitié du IIe siècle : http://n2t.net/ark:/99152/p09hq4ns7vk
- Menhir : https://ark.frantiq.fr/ark:/26678/pcrtD19Y1kxWR4
- Grès : https://www.eagle-network.eu/voc/material/lod/75
- Endommagée : https://www.eagle-network.eu/voc/statepreserv/lod/4
- Inscription religieuse / cultuelle : https://www.eagle-network.eu/voc/typeins/lod/81
- Gravée : https://www.eagle-network.eu/voc/writing/lod/3
- Lugdunensis : https://www.trismegistos.org/place/19858
- Vieux-Poitiers : https://www.trismegistos.org/place/30701
- France : https://www.trismegistos.org/place/693
How to cite: Ruiz Darasse C., Blanchet H., Estarán M.-J., Mullen A., Chevalier N., Prévôt N., « RIIG VIE-01-01 », dans Ruiz Darasse C. (éd.), Recueil informatisé des inscriptions gauloises, https://riig.huma-num.fr/, DOI : 10.21412/petrae_riig_VIE-01-01 (consulté le 20 avril 2024).
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URI : https://riig.huma-num.fr/documents/VIE-01-01
Dernière modification : 2023-03-02; Michel Lejeune (First editor); Coline Ruiz Darasse (Project coordinator and contributor); Hugo Blanchet (Contributor); María José Estarán Tolosa (Contributor); Alex Mullen (Contributor); Nolwenn Chevalier (Metadata, TEI encoding); Nathalie Prévôt (Database Design)