Localisation: France/Nouvelle-Aquitaine/Creuse
Site : Arrènes - Sazeirat
Province romaine: Aquitania
Peuple gaulois: Lemovices
Support: Bloc
Matériau: granit
Description du support: Bloc parallélépipédique de granit gris à gros grains, 67 cm de haut × 44 cm de large. Son épaisseur actuelle est de 32 cm (ce qui répond à peu près aux 12 inches de l'estimation de Whatmough) ; mais c'est que la pierre a été (au XXe siècle, à une date inconnue) brisée, et sa partie postérieure perdue, dans des circonstances qu'on ignore ; en effet, toutes les descriptions du XIXe siècle (jusqu'à Hirschfeld inclusivement) attribuent à la pierre une épaisseur sensiblement égale à sa largeur : indication significative pour qui cherche à imaginer l'importance du monument disparu (parois, donc, épaisses de plus de 60 cm).
Remarques de Michel Lejeune :
Ce sont les dessins inédits de Cessac (RIG II.1 46 pp. 102), dessins soigneusement cotés bien que le rendu en perspective soit médiocre, qui donnent la meilleure idée du bloc inscrit avant sa mutilation, ainsi que de l'autre bloc.
État de conservation: Pierre et inscription complètes, endommagées sur les coins supérieurs.
Lieu de découverte: Arrènes
Contexte local: Trouvé en effet lors des travaux du chemin de Limoges à Montluçon, dans le tronçon Saint-Sulpice-Laurière/Guéret, sur le territoire communal d'Arrènes, à quelques centaines de mètres du château et du hameau de Sazeirat, à égale distance des agglomérations d'Arrènes et de Marsac ; d'où les désignations diverses du document dans nos recueils, l'assignant à Sazeirat (lieu-dit) ou à Arrènes (commune) ou même à Marsac (commune voisine, où se trouve la gare la plus proche). Arbellot 1866 ajoute : « non loin du Puy-de-Jouër, emplacement présumé de la station romaine de Praetorium ».
Remarques de Michel Lejeune :
Dans les déblais du chantier de la voie ferrée gisait, outre la pierre inscrite, un autre bloc de même matériau, de dimensions analogues, et affecté lui aussi, à l'arrière, d'une entaille en forme de coin : vestiges d'une même construction antique ; de plus, débris de tuiles à rebord, et aussi de poterie et de verrerie, etc. La pierre anépigraphe découverte avec la pierre inscrite et donnée en même temps qu'elle au musée, y est présentement introuvable ; l'inventaire de 1970 ne la mentionne pas.
Conditions de découverte: Trouvée fortuitement au cours de l'établissement d'une voie ferrée en 1864.
Historique de conservation: Tout ce matériel fut acheté par le comte H. de Coustin du Masnadaud, châtelain de Sazeirat, aux entrepreneurs de la voie (qui s'apprêtaient à concasser les pierres antiques pour en faire du ballast), et, plus tard, donné par ce dernier au Musée d'Art et d'Archéologie de Guéret (inv. arch.S.282) sur les instances du comte de P. de Cessac, président de la Société des Sciences de la Creuse. Au témoignage de Bosvieux 1865 1 pp. 478, ce don intervint, postérieurement à la tenue du Congrès archéologique à Guéret (juin 1865), mais antérieurement à la publication des actes en 1866 ; probablement dès le second semestre de 1865, si ce fut là l'occasion de la communication du conservateur Fillioux aux Antiquaires en novembre de cette année. Par l'effet d'une regrettable négligence le registre des entrées (Fillioux 1865 ) n'a aucune trace de ce don.
À la date de novembre 2021, la pierre est entreposée dans une réserve lapidaire dans une cave du musée d’art et d’archéologie de Guéret, pour la durée des travaux de restructuration prévus jusqu’en 2023.
Lieu de conservation: Guéret
Institution de conservation: Musée d'Art et d'Archéologie
N° inventaire: arch.S.282
Autopsie: Photographié dans le cadre du projet RIIG par Hugo Blanchet en novembre 2021 dans les réserves du musée d’art et d’archéologie de Guéret.
Description de l'inscription: La face inscrite ( 44 cm de haut × 67 cm de large), gravée, n'est occupée que dans ses deux tiers supérieurs par un texte en trois lignes. L'écornure du coin supérieur droit a emporté le haut du dernier o de la l.1 ; après cet o mutilé, ni trace de pied d'une autre lettre, ni espace restituable suffisant pour en loger une.
Description de l'écriture: Lettres capitales (les o compris) d'une hauteur sensiblement uniforme (de 65 mm à 75 mm de haut), un peu plus espacées à la l.2 qu'à la l.1, à la l.3 qu'à la l.2. Gravure moins profonde pour les quatre dernières lettres, ce qui donnerait à penser à l'ajout ultérieur d'une formule votive latine à la dédicace gauloise ; c'est seulement dans ledit ajout (mais non après sacer ni ieuru) qu'on trouve des interponctions.
Remarques de Michel Lejeune :
Les lettres e (de type E) et l ont des éléments horizontaux très courts (comme, p. ex., en CDO-04-01) ; a est dépourvu de barrette intérieure (comme, p. ex., en *CDO-02-01). Les appréciations traditionnellement péjoratives portées sur le style de l'écriture (« litteris rusticis », Hirschfeld ; « lettres grossières », Dottin ; « roughly engraved », Whatmough) sont excessives. Graphisme sans recherche, certes, mais sans négligence.
Lecture assurée.
Lecture assurée.
Type de texte: Inscription religieuse / cultuelle
Datation du texte: Ier ou IIe siècle
Justificatif de datation: contexte. I/IIe siècle ?
Niveau de certitude: ◉◉○
Remarques de Michel Lejeune :
Graphie trop banale pour étayer, en l'absence de tout contexte archéologique, une datation.
Édition corpus: RIG II.1 p. 99-106 ; RIG II.1 p. 101-105 fig. 45-48 ; .
Commentaire bibliographique: Bosvieux 1865 p. 478 ; Bourquelot 1865 ; Fillioux 1865 p. 115,177 ; Arbellot 1866 p. 44 ; Bonnafoux 1866 p. 17 ; Ménard 1866 p. 270 ; Pictet 1866 p. 215 ; Pictet 1867c p. 397sv. ; Roget de Belloguet 1872 p. 297 ; Cessac 1873 p. 135 ; Cessac 1882 p. 21 ; Cessac 1882 p. 220 ; Mowat 1882 p. 260 ; Gaidoz 1881 p. 155 ; Vallentin 1881 p. 38-40 (II) ; Vallentin 1881 pl. IX-1 ; Stokes 1886 p. 132sv. (19) ; Mowat 1887a ; CIL XIII p. 1452 ; CIL XIII-1 p. 1452 ; Espérandieu 1891 p. 5-10 (1) ; Delannoy 1897 p. 84 ; Rhŷs 1906 p. 314-316 (XXV) ; Rhŷs 1911 ; Dottin 1918 p. 163 ; Whatmough 1970 p. 352 ; Lejeune 1974 ; IEW ; Lejeune et Marichal 1977 ; Lejeune 1980a ; Kajanto 1982 ; Lejeune 1982b ; Lejeune et al. 1985a ; Lejeune 1985d ;
Texte
- Lecture Lambert PLT-a ◉◉○
- Lejeune MLE-a ◉◉○
- Lejeune MLE-b ◉◉○
- Lejeune AdPT-a ◉◉◉
- Lejeune AdPT-b ◉◉◉
- Lejeune MLE-c ◉◉○
- Lejeune MLE-d ◉◉○
- Lejeune FVN-a ◉◉○
- Lejeune FVN-b ◉◉○
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer pe<t>rocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(s) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co(s) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 SACERPEROCỌ 02 IEVRVDVORI 03 CO·V·S·L·M |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
01 sacer pe<t>rocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. adjectif (ethnique) nominatif sg. thème en -o masc. verbe 3e pers. sg. prétérit substantif accusatif sg. neutre thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(s) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. patronyme nominatif sg. thème en -o masc. verbe 3e pers. sg. prétérit substantif accusatif pl. masc. thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co(s) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique verbe 3e pers. pl. prétérit substantif accusatif pl. masc. thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. patronyme nominatif sg. thème en -o masc. verbe 3e pers. sg. prétérit substantif accusatif sg. neutre thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co(n) ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique verbe 3e pers. pl. prétérit substantif accusatif sg. neutre thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. patronyme nominatif sg. thème en -o masc. verbe 3e pers. sg. prétérit substantif nominatif-accusatif duel masc. formule votive |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique verbe 3e pers. pl. prétérit substantif nominatif-accusatif duel masc. formule votive |
01 sacer perocọ(s) 02 ieuru duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. patronyme nominatif sg. thème en -o masc. verbe 3e pers. sg. prétérit théonyme datif masc. sg. thème en -o formule votive |
01 sacer perocọ 02 ieuru(s) duori- 03 co ·v(otum)·s(olvit)·l(ibens)·m(erito) |
idionyme nominatif masc. sg. idionyme nominatif masc. sg. thème consonantique verbe 3e pers. pl. prétérit théonyme datif masc. sg. thème en -o formule votive |
Traduction:
de Pierre-Yves Lambert : PLT-a
Sacer, du Périgord (?) a offert ce portique, il a exécuté son vœu, de bon cœur, ayant été exaucé.
de l'équipe du RIIG : MLE-a
Sacer fils de P. a offert le(s) portique(s), et il s'est acquitté de son vœu, de bon gré et comme il se doit.
de l'équipe du RIIG : MLE-b
Sacer et Peroco ont offert le(s) portique(s), et ils se sont acquittés de leur vœu, de bon gré et comme il se doit.
Apparat critique:
Remarques de Michel Lejeune : MLE-a MLE-b MLE-c MLE-d AdPT-a AdPT-b FVN-a FVN-b
Inscription bilingue.
D'une part, un texte principal gaulois (dédicace de type ieuru, cf. VIE-01-01), que nous analysons en :
D'autre part, gravée à la suite :
Le dédicant a d'ailleurs pour nom un cognomen latin ; sur Sacer, voir Kajanto 1982 pp. 211 ; sur sa fréquence en Gaule romaine, Holder 1962 II (1275).
Préalablement à la discussion du texte, on rappellera que les dédicaces ieuru (cf. Lejeune 1980a ) peuvent ou non comporter un datif de dédicataire (avec : VAU-13-01, *CHE-01-01, etc. ; sans : VIE-01-01, *NIE-01-01, etc.), et peuvent ou non comporter un accusatif de l'objet dédié (avec : VAU-13-01, VIE-01-01, etc. ; sans : *CHE-01-01, SEL-02-01, etc.), lui-même accompagné ou non d'un démonstratif (avec : VAU-13-01, CDO-01-19, etc. ; sans : VIE-01-01, CDO-04-01, etc.), en sorte que sont sans valeur les arguments qu'on a tirés de l'absence de tel ou tel de ces éléments contre telle ou telle interprétation du texte.
On rappellera préalablement aussi que les ō de diverses origines en syllabe finale sont notés aussi bien -O que -V (voir ALL-01-01).
Font problème peroco et dvorico.
Peroco
Depuis le début (Pictet 1866 ), on a vu dans peroco le nomin. sg. en -ō (thème à nasale) d'un second nom du dédicant, celui-là de stock gaulois ; de quelque façon qu'on justifie p-, l'existence d'une souche Pe(r)ro- est bien attestée en Gaule (Holder 1962 II (969 sv.)). Seul Rhŷs envisage un instant la possibilité que peroco soit un datif et désigne le dédicataire ; mais il rejette aussitôt une telle hypothèse, notamment parce que « the severing of Sacer and Peroco seems somewhat forced ». Mais c'est, au contraire, l'association des deux mots qui fait difficulté. Il serait insolite qu'un homme eût ainsi un double idionyme (discussion, Lejeune 1982b 5).
Deux solutions possibles, toutes deux impliquant non-notation de -s final (comme en *CHE-01-01).
Ou bien nous avons affaire à un adjectif peroco(s) « fils de P. ». Sans doute la dérivation en -oco- est-elle peu fréquente en gaulois (Holder 1962 II (829)), et aucun de nos rares exemples ne manifeste-t-il de fonction patronymique. Mais on peut invoquer l'onomastique vénète, où le développement des dérivés en -co- est lié à l'influence du celtique, et où -oco- forme des patronymes (Lejeune 1974 44 : kellos ossokos « K. fils de O. », etc.).
Ou bien peroco est bien un thème à nasale en -ō, donc un idionyme. Mais il y a alors deux dédicants (« S. et P. »), dont les noms sont donnés en asyndète (comme ceux de A. et L. en *CHE-01-01), le verbe étant à entendre au pluriel : ieuru(s).
Duorico
En dvorico, Pictet a vu dès l'origine l'objet de ieuru (acc. neutre sg. 1866 ; acc. neutre pl. 1867) avec le sens de « portique(s) ». Son approche est étymologique, et invoque le nom i.e. *dhwor-/*dhur- de la « porte » (cf. IEW ), conservé en celtique insulaire (gall. dor, etc.) ; ceci implique que celt. d- (issu de *dw- ou *dhw-) n'a abouti à d- qu'au cours des premiers siècles de notre ère, postérieurement à notre texte ; la glose gauloise doro « osteo » du Glossaire de Vienne (Dottin 1918 ) est datable du Ve siècle. Ajouter que le gaulois a été amené à se constituer, après la conquête, un lexique technique pour l'architecture de type romain ; ceci par divers procédés, dont le calque, lequel est ici en jeu : il ne va pas de soi que la désignation du « portique » doive dériver de celle de la « porte », et il est clair que le gaulois a ici calqué le couple latin porta/porticus.
Cette interprétation linguistique reçoit, d'autre part, quelque appui des inscriptions gallo-romaines portant dédicace d'un portique (ou de plusieurs) dans un sanctuaire, comme l'a souligné Pictet ; ainsi à Alise-Sainte-Reine (Ti. Cl. Professus Niger ... deo Moritasgo porticum ... poni iussit ... : CIL XIII (2873)), à Besançon (deo Mercurio Cissonio Dubitatia ... templum et porticus ... restituit : CIL XIII (5373)), etc. Notre pierre inscrite (comme la pierre anépigraphe trouvée avec elle) pourrait provenir du mur d'un tel portique.
En un premier temps (1866), Pictet proposait un acc. sg. neutre dvorico(n) avec nasale finale débile (il alléguait l'anusvāra du sanskrit). En un second temps (1867), il passait, malencontreusement, à l'hypothèse, phonétiquement indéfendable, d'un pluriel neutre.
D'où la réaction de rejet de Vallentin (Vallentin 1881 ), qui fait table rase des portiques et considère dvorico comme datif de théonyme. Aussitôt approuvé par Gaidoz 1881 , Mowat 1882 , Stokes 1886 , etc., il est suivi par tous les auteurs ultérieurs (écho encore en Lejeune 1980a ). Bizarrement, Rhŷs 1906 , qui déclare répudier, lui aussi, l'interprétation de Pictet, continue à supposer que la pierre provient d'un portique (non nommé dans le texte) et rattache le prétendu théonyme à *dhwor-, comme si (mais il ne le dit pas) il s'agissait du dieu d'un lieu-dit « Les Portes », ou comme s'il s'agissait de quelque dieu-Portier, vague cousin de Janus.
En fait, il y aurait plusieurs façons de revenir à « portique(s) ».
Si le mot gaulois (dont nous ignorons le genre) était masculin, on pourrait entendre, à l'accusatif pluriel, dvorico(s) avec finale -os (celle de sos à Chamalières, Lejeune et Marichal 1977 ), ici écrite sans -s final.
Que le mot, d'autre part, soit masculin ou neutre, il y a deux issues encore. Ou bien l'on peut songer à un duel, bien que l'existence d'un nomin. acc. duel en -ō en gaulois ait été (à partir de vercobreto et de cassidano) supposée mais non décisivement démontrée (Lejeune 1985d ). Ou bien revenir au sg. dvorico(n) de Pictet, moins invraisemblable aujourd'hui que jadis : dans les mêmes lieux et temps où -s, sporadiquement, n'est pas noté, l'affaiblissement des finales n'a-t-il pas touché, aussi bien, la nasale ? *CHE-01-01 ne permet pas d'en juger ; mais les flottements entre -n et -m en VIE-01-01 et au Larzac (Lejeune et al. 1985a ) ne supposent-ils pas, préalablement, une telle débilité ?
Le détail, on le voit, demeure incertain. Mais, de toute façon, nos préférences vont désormais à l'interprétation « portique(s) ».
Inscription bilingue.
D'une part, un texte principal gaulois (dédicace de type ieuru, cf. VIE-01-01), que nous analysons en :
- groupe sujet : sacer peroco
- verbe de dédicace : ieuru
- objet : duorico
D'autre part, gravée à la suite :
- formule latine : .u.s.l.m
Le dédicant a d'ailleurs pour nom un cognomen latin ; sur Sacer, voir Kajanto 1982 pp. 211 ; sur sa fréquence en Gaule romaine, Holder 1962 II (1275).
Préalablement à la discussion du texte, on rappellera que les dédicaces ieuru (cf. Lejeune 1980a ) peuvent ou non comporter un datif de dédicataire (avec : VAU-13-01, *CHE-01-01, etc. ; sans : VIE-01-01, *NIE-01-01, etc.), et peuvent ou non comporter un accusatif de l'objet dédié (avec : VAU-13-01, VIE-01-01, etc. ; sans : *CHE-01-01, SEL-02-01, etc.), lui-même accompagné ou non d'un démonstratif (avec : VAU-13-01, CDO-01-19, etc. ; sans : VIE-01-01, CDO-04-01, etc.), en sorte que sont sans valeur les arguments qu'on a tirés de l'absence de tel ou tel de ces éléments contre telle ou telle interprétation du texte.
On rappellera préalablement aussi que les ō de diverses origines en syllabe finale sont notés aussi bien -O que -V (voir ALL-01-01).
Font problème peroco et dvorico.
Peroco
Depuis le début (Pictet 1866 ), on a vu dans peroco le nomin. sg. en -ō (thème à nasale) d'un second nom du dédicant, celui-là de stock gaulois ; de quelque façon qu'on justifie p-, l'existence d'une souche Pe(r)ro- est bien attestée en Gaule (Holder 1962 II (969 sv.)). Seul Rhŷs envisage un instant la possibilité que peroco soit un datif et désigne le dédicataire ; mais il rejette aussitôt une telle hypothèse, notamment parce que « the severing of Sacer and Peroco seems somewhat forced ». Mais c'est, au contraire, l'association des deux mots qui fait difficulté. Il serait insolite qu'un homme eût ainsi un double idionyme (discussion, Lejeune 1982b 5).
Deux solutions possibles, toutes deux impliquant non-notation de -s final (comme en *CHE-01-01).
Ou bien nous avons affaire à un adjectif peroco(s) « fils de P. ». Sans doute la dérivation en -oco- est-elle peu fréquente en gaulois (Holder 1962 II (829)), et aucun de nos rares exemples ne manifeste-t-il de fonction patronymique. Mais on peut invoquer l'onomastique vénète, où le développement des dérivés en -co- est lié à l'influence du celtique, et où -oco- forme des patronymes (Lejeune 1974 44 : kellos ossokos « K. fils de O. », etc.).
Ou bien peroco est bien un thème à nasale en -ō, donc un idionyme. Mais il y a alors deux dédicants (« S. et P. »), dont les noms sont donnés en asyndète (comme ceux de A. et L. en *CHE-01-01), le verbe étant à entendre au pluriel : ieuru(s).
Duorico
En dvorico, Pictet a vu dès l'origine l'objet de ieuru (acc. neutre sg. 1866 ; acc. neutre pl. 1867) avec le sens de « portique(s) ». Son approche est étymologique, et invoque le nom i.e. *dhwor-/*dhur- de la « porte » (cf. IEW ), conservé en celtique insulaire (gall. dor, etc.) ; ceci implique que celt. d- (issu de *dw- ou *dhw-) n'a abouti à d- qu'au cours des premiers siècles de notre ère, postérieurement à notre texte ; la glose gauloise doro « osteo » du Glossaire de Vienne (Dottin 1918 ) est datable du Ve siècle. Ajouter que le gaulois a été amené à se constituer, après la conquête, un lexique technique pour l'architecture de type romain ; ceci par divers procédés, dont le calque, lequel est ici en jeu : il ne va pas de soi que la désignation du « portique » doive dériver de celle de la « porte », et il est clair que le gaulois a ici calqué le couple latin porta/porticus.
Cette interprétation linguistique reçoit, d'autre part, quelque appui des inscriptions gallo-romaines portant dédicace d'un portique (ou de plusieurs) dans un sanctuaire, comme l'a souligné Pictet ; ainsi à Alise-Sainte-Reine (Ti. Cl. Professus Niger ... deo Moritasgo porticum ... poni iussit ... : CIL XIII (2873)), à Besançon (deo Mercurio Cissonio Dubitatia ... templum et porticus ... restituit : CIL XIII (5373)), etc. Notre pierre inscrite (comme la pierre anépigraphe trouvée avec elle) pourrait provenir du mur d'un tel portique.
En un premier temps (1866), Pictet proposait un acc. sg. neutre dvorico(n) avec nasale finale débile (il alléguait l'anusvāra du sanskrit). En un second temps (1867), il passait, malencontreusement, à l'hypothèse, phonétiquement indéfendable, d'un pluriel neutre.
D'où la réaction de rejet de Vallentin (Vallentin 1881 ), qui fait table rase des portiques et considère dvorico comme datif de théonyme. Aussitôt approuvé par Gaidoz 1881 , Mowat 1882 , Stokes 1886 , etc., il est suivi par tous les auteurs ultérieurs (écho encore en Lejeune 1980a ). Bizarrement, Rhŷs 1906 , qui déclare répudier, lui aussi, l'interprétation de Pictet, continue à supposer que la pierre provient d'un portique (non nommé dans le texte) et rattache le prétendu théonyme à *dhwor-, comme si (mais il ne le dit pas) il s'agissait du dieu d'un lieu-dit « Les Portes », ou comme s'il s'agissait de quelque dieu-Portier, vague cousin de Janus.
En fait, il y aurait plusieurs façons de revenir à « portique(s) ».
Si le mot gaulois (dont nous ignorons le genre) était masculin, on pourrait entendre, à l'accusatif pluriel, dvorico(s) avec finale -os (celle de sos à Chamalières, Lejeune et Marichal 1977 ), ici écrite sans -s final.
Que le mot, d'autre part, soit masculin ou neutre, il y a deux issues encore. Ou bien l'on peut songer à un duel, bien que l'existence d'un nomin. acc. duel en -ō en gaulois ait été (à partir de vercobreto et de cassidano) supposée mais non décisivement démontrée (Lejeune 1985d ). Ou bien revenir au sg. dvorico(n) de Pictet, moins invraisemblable aujourd'hui que jadis : dans les mêmes lieux et temps où -s, sporadiquement, n'est pas noté, l'affaiblissement des finales n'a-t-il pas touché, aussi bien, la nasale ? *CHE-01-01 ne permet pas d'en juger ; mais les flottements entre -n et -m en VIE-01-01 et au Larzac (Lejeune et al. 1985a ) ne supposent-ils pas, préalablement, une telle débilité ?
Le détail, on le voit, demeure incertain. Mais, de toute façon, nos préférences vont désormais à l'interprétation « portique(s) ».
Commentaires:
Remarques de l'équipe du RIIG :
Suivant Lambert 2018 pp. 97, la forme peroco pourrait être l'ethnique Petrocorios / Petrucorios (de la cité des Petrucorii > Périgord), abrégé en Petroco[, même si la gravure ne permet pas d'apercevoir une ligature T-R. Toutefois, selon Delamarre 2018 pp. 251, une évolution phonétique petru- > perru- est attestée tardivement, notamment par la forme Petrucorii > Perrucori (voir Whatmough 1970 pp. 467).
Remarques de l'équipe du RIIG :
L'inscription est également répertoriée dans les ILA, Lemovices sous le numéro 75 : (16/1/6/96) Offrande bilingue d'un portique .
Commentaire sociolinguistique:
Remarques de Pierre-Yves Lambert : PLT-a
Duorico(n) est un calque de porticus dans la mesure où c’est un dérivé formé avec le suffixe et le sens du latin porticus, mais à partir du mot indigène correspondant au lat. porta : *du̯oro-. Comme tout calque, il implique l’adoption d’un usage étranger, mais le mot employé a été tiré des ressources de la langue indigène, ce qui prouve que le gaulois avait pu garder quelques temps sa vitalité, au contact de la civilisation latine.
Remarques de María José Estarán :
- Contexte épigraphique : unique inscription pour ce site. Il n'y a pas d'inscription en latin sur place.
- Latinisation : inscription en langue gauloise et formule votive en latin.
Remarques de Alex Mullen :
This text contains what could be described as a tag-switch at the end for the extremely common Latin formula VSLM. It also contains IEVRV, see Lambert 1979 , Lejeune 1980a , Estarán 2021 .
Texts displaying bilingual phenomena; Code-switching intra-sentential /code-switching tag-switching into Latin.
Texts displaying bilingual phenomena; Code-switching intra-sentential /code-switching tag-switching into Latin.
Photos
Bibliographie du RIG: Fillioux 1865 ; Bourquelot 1865 ; Bosvieux 1865 ; Bonnafoux 1866 ; Arbellot 1866 ; Ménard 1866 ; Pictet 1866 ; Pictet 1867a ; Roget de Belloguet 1872 ; Cessac 1882 ; Cessac 1873 ; Vallentin 1881 ; Gaidoz 1881 ; Cessac 1882 ; Mowat 1882 ; Stokes 1886 ; Mowat 1887a ; Delannoy 1897 ; Rhŷs 1911 ; Dottin 1918 ; IEW ; Whatmough 1970 ; Lejeune 1980a ; Lejeune 1982b ; Lejeune et al. 1985b.
Bibliographie du RIIG: Lambert 1979 ; Lejeune 1980a ; Estarán 2021.
Linked Data:
- Ier ou IIe siècle : http://n2t.net/ark:/99152/p09hq4n7t47
- Ier ou IIe siècle : http://n2t.net/ark:/99152/p09hq4ndm7n
- Bloc : https://ark.frantiq.fr/ark:/26678/pcrtEklsyTYoVi
- Granit : https://www.eagle-network.eu/voc/material/lod/11
- Endommagées : https://www.eagle-network.eu/voc/statepreserv/lod/4
- Inscription religieuse / cultuelle : https://www.eagle-network.eu/voc/typeins/lod/81
- Gravée : https://www.eagle-network.eu/voc/writing/lod/3
- Musée d'Art et d'Archéologie : https://www.trismegistos.org/collection/3002
- Arrènes : https://www.trismegistos.org/place/22729
- Aquitania : https://www.trismegistos.org/place/3924
- France : https://www.trismegistos.org/place/693
How to cite: Ruiz Darasse C., Blanchet H., Estarán M.-J., Mullen A., Chevalier N., Prévôt N., « RIIG CRE-01-01 », dans Ruiz Darasse C. (éd.), Recueil informatisé des inscriptions gauloises, https://riig.huma-num.fr/, DOI : 10.21412/petrae_riig_CRE-01-01 (consulté le 25 avril 2024).
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URI : https://riig.huma-num.fr/documents/CRE-01-01
Dernière modification : 2023-03-09; Michel Lejeune (First editor); Coline Ruiz Darasse (Project coordinator and contributor); Hugo Blanchet (Contributor); María José Estarán Tolosa (Contributor); Alex Mullen (Contributor); Nolwenn Chevalier (Metadata, TEI encoding); Nathalie Prévôt (Database Design)